« L'orchestre exécute le tutti. […] Le premier solo va commencer. Le virtuose se campe sur la hanche gauche, avance la jambe droite, embouche son instrument. Ses joues se gonflent, il souffle, il rougit ; vains efforts, rien ne sort du rebelle instrument. Il le présente alors devant son œil droit par le côté du pavillon ; il regarde dans l'intérieur comme il eût fait d'un télescope ; n'y découvrant rien, il essaye de nouveau, il souffle avec rage ; pas un son. Désespéré, il ordonne aux musiciens de recommencer le tutti […] et, pendant que l'orchestre s'escrime, le virtuose, plaçant sa clarinette, je ne dirai pas entre ses jambes, mais beaucoup plus haut, le pavillon en arrière, le bec en avant, se met à dévisser précipitamment l'anche et à passer l'écouvillon dans le tube […]
Les voilà de retour à la mesure inexorable qui annonce l'entrée du solo. Mais la clarinette n'est pas prête. […] Les rires, les chuchotements bruissaient dans la salle : on entendait des exclamations, de petits cris étouffés, et le scandaleux virtuose continuait à gratter son anche.
Enfin, il la croit en état ; le soliste réembouche sa clarinette, écarte et élève de nouveau ses coudes, souffle, sue, rougit, se crispe, rien ne sorti. Quand un effort suprême fait jaillir, comme un éclair sonore, le couac le plus déchirant qu'on ait jamais entendu. » [1]
Cette cocasse anecdote, relatée avec malice par Hector Berlioz dans ce récit d’un concerto de clarinette et paru en 1859 dans son ouvrage Les grotesques de la musique, révèle toute la dimension aussi accidentelle que comique exprimée par la formule « faire un couac », directement héritée du monde de la musique. L’expression tire en effet son origine de l’argot d’orchestre, et son emploi du XVIe siècle. L’onomatopée « couac » fait en effet référence au canard, dont il est également le nom familier, et à son cri, comparable à la fausse note émise par une clarinette, ou un hautbois, lorsque le musicien commet l’erreur de ne pas serrer suffisamment l’anche de l’instrument avec leurs lèvres…
Une comparaison peu flatteuse, pour le musicien concerné !
Au fil des siècles, l’expression s’étend au langage courant pour désigner, au sens figuré, un acte de faux pas ou de maladresse, nuisant le plus souvent à la cohérence ou l’harmonie d’un collectif.
Pas un couac à déplorer, pour les musiciens de l’orchestre de La Lyre du Plessis-Robinson…
(Concert en plein devant la Maison des Arts, juillet 2018).
Retrouvez d'autres histoires et anecdotes sur le vocabulaire musical dans la série Les mots de la Musique
[1] Hector Berlioz, Les Grotesques de la musique, Paris, Bourdillat et Cie, 1859, 320 p.